

Dossier de Jonathan TSOBO DITUVANGA
La nouvelle note circulaire du Ministère du Plan, Budget, Fonction Publique, Emploi, Tourisme, Transports et Mobilité Urbaine, interdisant la circulation des taxis-motos et tricycles sur plusieurs axes majeurs de Kinshasa, apparaît comme l’une des décisions les plus déconnectées des réalités sociales récentes. Sous prétexte d’“organiser la mobilité urbaine” et de “réduire l’insécurité routière”, elle prive des milliers de jeunes Congolais de leur unique source de revenu dans une ville où l’État, ironie du sort, ne crée pratiquement aucun emploi pour eux.
L’idée d’encadrer le secteur est légitime.
Mais l’approche choisie, elle, ressemble davantage à une punition collective qu’à une politique publique responsable.
UNE DÉCISION QUI IGNORE LA RÉALITÉ DU TERRAIN
Les moto-taximen et conducteurs de tricycles communément appelés « WEWA » ne sont pas un groupe marginal. Ils représentent plusieurs centaines de milliers d’emplois directs et indirects, et constituent souvent l’unique moyen de mobilité pour les quartiers enclavés. Les interdire brutalement dans de larges zones de la capitale revient à :
-couper les revenus de jeunes déjà fragilisés par le chômage massif ;
-complexifier la mobilité d’une frange de la population qui dépend de ce mode de transport ;
-créer une frustration sociale dangereuse dans un contexte déjà instable.
Alors que la ville souffre de transports publics insuffisants, irréguliers et parfois inexistants, cette mesure revient purement et simplement à retirer la béquille sans fournir la moindre prothèse.
UN MANQUE CRIANT D’ALTERNATIVES
Jusqu’à lors, Kinshasa de Daniel BUMBA n’a encore offert aucune alternative publique viable en matière de mobilité, contrairement à celui d’André KIMBUTA qui avait quand même une agence de transport urbain pour les kinois.
Les bus TRANSCO sont insuffisants, souvent hors service, et incapables d’absorber le flux de millions de passagers.
Plutôt que de renforcer l’offre, le gouvernement choisit de rétrécir l’accès.
Encore un autre choix illogique du régime BUMBA LUBAKI.
Les autorités annoncent des axes interdits, des sanctions sévères, des amendes exorbitantes et des mises en fourrière de 30 jours… tout cela sans proposer :
-un programme d’encadrement professionnel,
-un système de permis spécial,
-une formation obligatoire,
-une fiscalisation modernisée,
-un plan d’intégration dans la mobilité urbaine.
C’est l’expression même d’un État qui ne régule pas : il réprime.
UNE MENACE ÉCONOMIQUE DIRECTE
Chaque moto ou tricycle mis en fourrière représente :
-un revenu familial perdu, surtout ces engins sont plus récupérables, ce qui est devenu un marché noir de motos ;
-un jeune renvoyé à la débrouille devient un potentiel délinquant communément appelé « KULUNA »;
-un foyer plongé dans la précarité.
Ces conducteurs participent pourtant à l’assiette fiscale à travers :
-les taxes de l’hôtel de ville,
-les autorisations de transport,
-les redevances régulières,
-les multiples contrôles (souvent informels) imposés par les forces de l’ordre.
En d’autres mots, l’État veut l’argent des moto-taximen, mais pas leur présence.
En temps normal, une mauvaise gestion économique détruit la confiance.
Mais ici, elle détruit carrément la survie des familles.
UN RISQUE SOCIAL ET SÉCURITAIRE SOUS-ESTIMÉ
L’impact de cette mesure dépassera largement le secteur des transports :
D’ABORD L’IMPACT SOCIAL
Le chômage des jeunes est déjà explosif.
Priver brusquement des milliers d’entre eux de leur seul moyen de subsistance ne peut qu’aggraver :
-la délinquance urbaine,
-les tensions communautaires,
-la frustration envers l’État,
-la radicalisation sociale.
IMPACT SÉCURITAIRE
En interdisant les motos sur certaines grandes artères, on oblige :
-les chauffeurs à emprunter des ruelles étroites et non éclairées pendant la nuit,
-les passagers à se déplacer dans des zones plus risquées,
-les commerçants à livrer par des circuits complexes, propices aux braquages.
C’est donc paradoxalement une mesure censée réduire l’insécurité qui va produire davantage d’insécurité.
UN MANQUE DE VISION STRATÉGIQUE
Selon un expert de transport, la mobilité urbaine se gère par :
-la planification,
-la régulation intelligente,
l’encadrement,
-la formation,
-l’investissement, et
-l’innovation.
Jamais par l’exclusion brutale.
Dans les pays qui ont organisé le secteur, l’État a :
-délivré des permis spécifiques ;
-imposé des uniformes ;
-introduit des plaques professionnelles ;
-créé des couloirs réservés ;
-formalisé la fiscalité ;
-instauré des programmes publics de formation.
Kinshasa fait l’inverse : elle ferme les portes et casse le thermomètre, au lieu de soigner la fièvre.
ENFIN, UNE RESPONSABILITÉ POLITIQUE À INTERPELLER
Cette note circulaire n’est pas seulement maladroite : elle est dangereuse, injuste, incohérente et socialement explosive.
Le gouvernement provincial gagnerait à revoir cette décision, et à privilégier une stratégie de régulation intelligente plutôt qu’une répression aveugle.
Parce qu’on ne construit pas une ville moderne en excluant les pauvres :
on la construit en organisant leur contribution.
Et ces jeunes, que l’État ne parvient pas à employer, ont au moins trouvé une dignité dans le travail.
Les punir pour cela relève non seulement d’une injustice, mais d’une faute politique majeure.